Cet arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 11 mars 2014 est destiné à publication au Bulletin (n° 13-10366, http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000028730238&fastReqId=1238616491&fastPos=1 ). Le rappel qu’il fait, à propos de la sanction d’une clause statutaire de préemption, dans une SARL, est utile : en principe, la cession faite sans respecter cette clause n’est pas nulle.
La décision.
Dans une SARL réunissant trois associés, les statuts stipulaient qu’en cas de cession, les parts devraient être proposées par priorité aux autres associés, au prorata de leur participation. L’un des associés, Paul Y, cédait ses parts (il en détenait semble-t-il trois) à un autre associé, M. X, par acte en date du 21 avril 2009. Le troisième associé, Moïse Y, invoquait la violation de la clause et obtenait en justice l’annulation de la cession, la décision des premiers juges ayant accueilli cette demande étant assortie de l’exécution provisoire. La cession ayant été annulée, Paul Y, qui avait retrouvé la propriété de ses parts sociales, en cédait deux à Moïse Y, par acte du 14 janvier 2011. Cette cession était alors contestée par M. X, qui dans le même temps tentait de remettre en cause l’annulation de la cession de 2009.
La cour d’appel saisie du litige confirmait l’annulation de la cession de 2009 et refusait d’annuler la cession de 2011, ce qui incitait M. X à se pourvoir en cassation. Son recours est partiellement accueilli. La Chambre commerciale refuse de reconnaître comme nulle la cession de 2011, mais elle censure dans le même temps l’arrêt d’appel attaqué en ce qu’il avait annulé la cession de 2009, ce qui devrait conduire à une solution curieuse (v. infra).
En ce qu’il rejette le pourvoi formé par M. X, l’arrêt rendu par la Cour de cassation retient peu l’attention du commentateur, car c’est essentiellement pour des raisons procédurales ou de cohérence (l’arrêt d’appel n’a pas méconnu les conséquences légales de ses constatations ; l’argument invoqué par M. X est incompatible avec l’argumentation développée devant les juges du fond) que l’arrêt d’appel maintient la solution des juges du fond, tant sur la cession de 2011 que sur celle de 2009.
Cependant, concernant la plus ancienne des deux cessions, la Chambre commerciale casse pour violation des articles 1134 et 1142 du Code civil l’arrêt attaqué en ce qu’il a annulé la cession de parts du 21 avril 2009 et rejeté la demande de M. Moïse Y… en paiement de dommages-intérêts.
La Chambre commerciale énonce un attendu de principe selon lequel « la violation d’une clause de préemption figurant dans les statuts d’une société à responsabilité limitée n’emporte pas par elle-même nullité de la cession de parts conclue entre deux associés ».
Analyse.
Observons tout d’abord que la clause de préemption n’est pas la clause d’agrément. Les deux clauses sont proches, car la clause de préemption oblige à proposer la cession de ses parts en priorité au(x) bénéficiaire(s) de la clause, tandis que la clause d’agrément conduit à demander l’autorisation des associés avant de réaliser une cession, et leur refus peut conduire à ce qu’ils rachètent les parts du cédant. Mais les deux clauses se distinguent par la sanction applicable à la cession conclue sans les respecter. La Cour de cassation écarte la nullité comme sanction du non-respect de la clause de préemption statutaire, et la solution vaut a fortiori pour la clause extrastatutaire. En revanche, la cession qui ne respecte pas la clause d’agrément prévue dans les statuts de la SARL est nulle (v. not. Cass. com., 21 janv. 2014, n° 12-29221, à paraître au Bull., http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000028514915&fastReqId=568317446&fastPos=2 ).
Ensuite, la SARL n’est pas la SAS. Dans cette dernière forme sociale, l’article L. 227-15 du Code de commerce dispose que « toute cession effectuée en violation des clauses statutaires est nulle ». Le régime légal de la SARL ne comporte pas de disposition similaire. C’est donc au droit commun qu’il appartient de déterminer la sanction applicable à la cession ne respectant pas la clause de préemption statutaire. Le principe est que le non-respect de la clause n’est pas sanctionné par la nullité, sauf s’il est établi que le cédant et le cessionnaire se sont entendus pour que la clause ne soit pas respectée (hypothèse de la collusion frauduleuse, déjà retenue par certains arrêts, comme Cass. com., 7 mars 1989, n° 87-17212, Bull. IV, n° 79, et reprise par la présente décision) ou que celui qui acquiert les parts de SARL (la solution vaudrait aussi pour les actions de SA, ou pour un autre bien que les actions de SAS) avait connaissance (i) de l’existence de la clause et (ii) de l’intention de son bénéficiaire de s’en prévaloir (v. Ch. Mixte, 26 mai 2006, Bull. n° 4).
Enfin, on observera que si la cour d’appel de renvoi confirme la validité de la cession de 2009, on aboutira à une solution assez étonnante, puisque Paul Y aura valablement cédé ses trois parts à M. X en 2009, puis la cession de 2011 l’aura vu céder à nouveau deux de ces mêmes parts à Moïse Y ! Ce n’est que si la cession de 2011 est remise en cause du fait de la reconnaissance de celle de 2009 que l’on retrouvera la cohérence voulue, étant tout de même précisé que l’arrêt commenté refuse de constater la nullité de la cession de 2011.
Bruno DONDERO