La Cour de cassation a rendu une décision importante le 11 mars 2014 (n° 11-26915, http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechExpJuriJudi&idTexte=JURITEXT000028730333&fastReqId=414336376&fastPos=1), relative à l’application de l’article 1843-4 du Code civil, texte qui prévoit que « Dans tous les cas où sont prévus la cession des droits sociaux d’un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d’accord entre elles, par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme des référés et sans recours possible ».
Cette décision, que je commenterai prochainement au Recueil Dalloz (v. également les observations de Me Samuel SCHMIDT, http://lecercle.lesechos.fr/entrepreneur/juridique/221193322/determination-prix-promesses-revirement-on-attendait-plus), fait l’objet de la plus importante diffusion possible (publication aux deux Bulletins, au Rapport annuel et diffusion sur le site internet de la Cour). La Chambre commerciale limite de manière inédite le champ d’application de l’article 1843-4, en en excluant la promesse de vente librement consentie par un associé, ce qui constitue selon moi un revirement.
Le contexte.
La question est comme on le sait très importante, car jusqu’à présent, la situation, fort gênante pour la pratique, était la suivante. Un associé prenait l’engagement de céder ses parts ou ses actions, en signant une promesse. Cette promesse prévoyait un prix, déterminable ou déterminé, et qui pouvait être intentionnellement surévalué ou au contraire sous-évalué, en fonction des circonstances. Le dirigeant et associé qui cédait ses titres après s’être maintenu dans la société pendant une certaine période pouvait ainsi percevoir un prix plus important, ou être pénalisé en cas de cession intervenant avant l’expiration de cette période (clauses de good leaver / bad leaver, déjà abordées dans ce blog : https://brunodondero.wordpress.com/2013/05/11/le-respect-de-la-procedure-prevue-par-le-pacte-clause-good-leaver-bad-leaver-c-a-paris-19-mars-2013-n-rg-1203448/). Le prix pouvait aussi être d’un montant tel qu’il garantisse à un associé investisseur une possibilité de sortir de la société pour un prix en rapport avec son investissement. Or, depuis quelques années, les prévisions des parties en ce domaine pouvaient se trouver bouleversées du fait de l’application que les juges faisaient de l’article 1843-4, puisque, alors que les parties s’étaient accordées sur un prix, il était possible à l’une d’elles d’obtenir la désignation d’un expert (qui n’est pas un expert au sens traditionnel du terme, mais un tiers qui va donner le prix de cession de droits sociaux et lier le juge et les parties par son évaluation, sauf erreur grossière) et que celui-ci n’est aucunement tenu par les stipulations des parties.
L’arrêt rendu par la Cour de cassation intervient dans un contexte particulier, car la solution qu’il remet en cause avait été critiquée au point que le législateur se saisisse de la question… pas personnellement, à vrai dire : c’est à une ordonnance, non encore publiée, que la mission de régler le problème a été confiée. La loi n° 2014-1 du 2 janvier 2014 a en effet habilité le gouvernement à réformer l’article 1843-4 par voie d’ordonnance, « pour assurer le respect par l’expert des règles de valorisation des droits sociaux prévues par les parties ». La Cour de cassation procède ici différemment, puisqu’elle limite le champ d’intervention de l’expert, plutôt que de le contraindre à respecter la volonté des parties. Les rédacteurs de l’ordonnance devront tenir compte du nouvel élément que fournit l’arrêt du 11 mars 2014.
Que dit cet arrêt ?
Un actionnaire avait signé un pacte aux termes duquel, en cas de cessation de ses fonctions de direction, il promettait de céder à la société une partie de ses actions pour un prix égal à leur valeur nominale. La société prétendait faire jouer la clause du pacte, mais l’associé se prévalait de l’article 1843-4 et obtenait gain de cause devant la cour d’appel saisie du litige.
L’arrêt d’appel est cependant cassé pour violation de l’article 1843-4 du Code civil, au motif que « les dispositions de ce texte, qui ont pour finalité la protection des intérêts de l’associé cédant, sont sans application à la cession de droits sociaux ou à leur rachat par la société résultant de la mise en œuvre d’une promesse unilatérale de vente librement consentie par un associé ».
La situation du droit positif est donc aujourd’hui, me semble-t-il, la suivante :
– la promesse prévoyant un prix ou une méthode de détermination du prix, figurant dans un pacte ou dans un autre contrat, est clairement exclue du champ d’application de l’article 1843-4, puisque l’associé y aura consenti ;
– lorsque les statuts prévoient une cession ou un rachat de droits sociaux, et même si l’arrêt ne vise pas cette hypothèse, je pense qu’il convient de s’assurer que l’associé à qui on impose de céder ses parts ou ses actions a consenti à leur valorisation et que la clause statutaire ne lui a pas été imposée par un vote majoritaire. De même que certaines clauses doivent toujours être adoptées à l’unanimité (les clauses d’exclusion, d’inaliénabilité ou d’agrément dans les SAS, par exemple, comme le prévoit l’art. L. 227-19 C. com.), il convient que les clauses statutaires – les seules pour lesquelles la question se pose vraiment – relatives à la détermination du prix aient été acceptées par tous ceux auxquels on prétend les appliquer ;
– une question demeure, qui est celle du cas où c’est la loi qui prévoit la cession ou le rachat. Dans ce cas, l’article 1843-4 est applicable (le législateur le prévoit souvent expressément, d’ailleurs). Une valorisation à laquelle l’associé aurait consenti est-elle alors de nature à écarter l’intervention de l’expert ? C’est une question à laquelle nous n’avons pas encore de réponse certaine. L’arrêt du 11 mars 2014 ne vise pas ce cas, et la jurisprudence antérieure laisse penser que l’expert peut écarter la méthode de fixation du prix ou le prix prévu par les parties. Mais la loi du 2 janvier 2014 veut voir l’expert respecter les règles de valorisation prévues par les parties!
La solution retenue par la Cour de cassation n’est pas véritablement coordonnée avec la réforme annoncée par la loi n° 2014-1 du 2 janvier 2014. Puisque, ainsi qu’on l’a dit, l’ordonnance à intervenir devrait réformer l’article 1843-4 « pour assurer le respect par l’expert des règles de valorisation des droits sociaux prévues par les parties », la Cour de cassation fait autre chose que d’anticiper cette solution, puisqu’elle limite le champ d’intervention de l’expert, plutôt que de le contraindre à respecter la volonté des parties. La solution retenue par l’arrêt du 11 mars 2014 est néanmoins très opportune, car elle revient à dire que l’on ne peut revenir sur un prix ou une méthode de détermination du prix auquel on a consenti dans une promesse de vente, y compris figurant dans un pacte.
En conclusion, ce ne serait que (i) la valorisation à laquelle n’a pas consenti l’associé dont les titres doivent être cédés qui pourrait être remise en cause par l’intervention de l’expert de l’article 1843-4 et (ii), mais la solution est aujourd’hui incertaine, la valorisation convenue par avance en cas de cession ou de rachat prévu par la loi. Reste à voir ce que l’ordonnance à intervenir fera dans ce contexte renouvelé !
Bruno DONDERO
PS: le projet d’ordonnance est consultable en ligne: http://bit.ly/1pb1Urt
La solution qu’il propose (limiter l’application de l’article 1843-4 aux seules cessions prévues par la loi) ne correspond pas vraiment à ce que demandait le législateur (faire en sorte que l’expert respecte les méthodes de valorisation des parties), sans recouper parfaitement la solution de la Cour de cassation…
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