La décision du Conseil Constitutionnel du 4 décembre 2013 (n° 2013-679 DC) vient de censurer partiellement le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, qui avait été adoptée après mise en œuvre par le Parlement d’une procédure accélérée. Une seconde décision du même jour (n° 2013-680 DC) se prononce sur la loi organique relative au Procureur de la République financier.
On retiendra surtout de la décision de censure que la modification du Code pénal qui était prévue en matière de responsabilité pénale des personnes morales est jugée inconstitutionnelle. Bien que la loi porte un nom très spécifique, la mesure prévue, si elle avait été adoptée, aurait eu un impact sur un certain nombre d’infractions dont il n’est pas certain qu’elles relèvent toutes de la « grande délinquance économique et financière ».
La responsabilité pénale des personnes morales permet depuis une vingtaine d’années d’infliger des sanctions pénales, et notamment des amendes, aux sociétés, associations, syndicats, etc., lorsque leurs organes ou représentants commettent des infractions pour leur compte. Le Code pénal prévoit que les amendes prévues pour les personnes physiques sont portées au quintuple pour les personnes morales. Par exemple, une escroquerie commise par une personne physique est punie de 5 ans d’emprisonnement et 375.000 euros d’amende, et 10 ans et 1 million d’euros lorsque l’escroquerie est faite en bande organisée. On ne peut mettre une personne morale en prison, mais les 375.000 euros deviennent 1.875.000 euros en cas d’escroquerie simple, et 5 millions en cas de bande organisée, si l’escroquerie est faite pour le compte d’une personne morale. D’autres sanctions sont prévues pour les personnes morales, comme la dissolution ou la fermeture d’un établissement.
C’est à la peine d’amende frappant les personnes morales que le projet de loi s’intéressait. Il était prévu que pour tous les crimes et pour les délits punis d’au moins 5 ans d’emprisonnement et ayant procuré un profit direct ou indirect (par ex. l’escroquerie), le montant maximum de l’amende aurait été égal au dixième du chiffre d’affaires moyen annuel de la personne morale prévenue (calculé sur les 3 derniers C.A. annuels, et le dixième devenait le cinquième dans certains cas). On retenait une solution qui est appliquée en droit de la concurrence, l’Autorité de la concurrence pouvant prononcer des sanctions dont le montant maximum est de 10% du chiffre d’affaires mondial.
Retenir cette solution comme le législateur voulait le faire aurait pu donner lieu à des situations étonnantes. Imaginons que le dirigeant d’une grande société commette pour son compte un fait isolé qualifié d’escroquerie (il fait croire à un client qu’un produit fabriqué par la société lui procurera un avantage en réalité impossible à atteindre), ne causant qu’un préjudice minime à la victime, mais enrichissant tout de même un petit peu la société. Cette société se serait alors trouvée exposée à une amende dont le montant aurait pu aller jusqu’à 10% de son chiffre d’affaires annuel ! Le projet de loi n’indiquait d’ailleurs pas si c’était le C.A. mondial… En toute hypothèse, pour les grandes sociétés, on aurait donc eu des amendes se comptant en millions d’euros, indépendamment de la gravité de l’infraction et de l’enrichissement procuré, mais uniquement en fonction de l’importance de l’activité de la société pour le compte de laquelle l’infraction est commise.
Le Conseil constitutionnel juge que le critère retenu est susceptible de revêtir un caractère manifestement disproportionné avec la gravité de l’infraction constatée. Notons tout de même que c’est un maximum qui aurait été ainsi prévu par le Code pénal, que le juge aurait pu abaisser, mais cela n’a pas empêché la censure du projet de loi sur ce point.
Permettez-moi de ne pas partager l’approbation que je sens ici sur ce point.
D’une part, comme vous l’avez mentionné, de telles sanctions existent déjà non seulement en droit de la concurrence, mais aussi sous l’empire de la loi du 6 janvier 1978, pour les infractions sur les traitements de données à caractère personnel. Pourquoi permettre là ce qui est interdit ici ? Les arguments avancés me semblent bien transposables: pourquoi sanctionner une personne morale qui aurait commis une infraction du fait d’une simple décision de son dirigeant en matière de fichiers ? Il y a donc à mon avis des QPC à attendre de ce côté la prochaine fois que la CNIL prononcera une sanction, si toutefois la constitutionnalité de la loi de 78 texte n’a pas déjà été examinée par le conseil chose que je n’ai pas vérifiée.
Les amendes proportionnées au CA sont les seules qui sont effectivement à même d’être dissuasives pour des personnes morales. N’oublions pas que si la privation de liberté touche tout le monde avec une égalité relative, les sanctions pécuniaires plafonnées que sont les amendes frappent plus durement, en proportion, les petits.
Pingback: Quelques mesures importantes de la loi du 6 décembre 2013 (lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière) | Le blog du professeur Bruno Dondero
Bonjour,
ou trouvé vous le montant maximum pour une personne morale ?
j’ai déjà entendu parler de 1 850 000 euros
mais 5 millions en bande organisé et personne morale j’ai jamais vu ?
merci par avance
Bonjour, dans le Code pénal, vous avez l’article L. 131-38, qui dispose entre autres que « Le taux maximum de l’amende applicable aux personnes morales est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques par la loi qui réprime l’infraction ».
Très cordialement,
BD