Dans les locaux d’un syndicat de magistrats, le Syndicat de la Magistrature (SM), une affiche intitulée « mur des cons » rassemble les photos de différentes personnes ayant eu le tort de déplaire… au moins à certains membres du syndicat.
La première réaction que le citoyen modéré peut avoir à l’égard de cette information (révélée au moyen d’un enregistrement clandestin semble-t-il) est l’indifférence, teintée toutefois d’une légère déception : les juges sont des hommes et des femmes comme les autres, et cette humanité va pour certains jusqu’à matérialiser leur inimitié envers tel ou tel homme ou femme politique ou journaliste (catégories majoritairement représentées sur le « mur » du SM), dont ils n’ont pas apprécié les propos, à un titre ou à un autre, en réalisant un collage des photos de leurs « ennemis », assorti de commentaires déplaisants.
On attendait des magistrats toujours dignes, même dans la controverse ; or l’on découvre qu’ils « brûlent » en effigie ceux avec qui ils sont en désaccord…
Mais après tout, n’est-ce pas l’activité normale d’un syndicat, fût-il de magistrats, de recenser les opposants à ses idées, quitte à les affubler au passage d’épithètes que la bienséance réprouve ? La discussion, l’identification des adversaires et de leurs arguments, et finalement le combat politique, sont bien ce que l’on attend d’une organisation professionnelle telle qu’un syndicat.
Mais les syndicalistes n’ont généralement pas le pouvoir de mettre en examen leur prochain, de l’envoyer séjourner en prison et, au-delà du seul droit pénal, de décider à son égard de toutes les mesures qui peuvent être appliquées par voie de justice à un citoyen dans notre pays… Et c’est cela qui choque : le « mur des cons » fait prendre conscience de ce que les magistrats peuvent se syndiquer, et pas seulement pour constituer une caisse de secours pour les magistrats en détresse financière ou organiser des colloques. L’idée même d’une magistrature syndiquée peut d’ailleurs surprendre. Comment une profession dont l’impartialité et l’indépendance sont des garanties essentielles de l’Etat de droit peut-elle se syndiquer ? Le magistrat syndiqué ne sera plus impartial vis-à-vis des « ennemis » du syndicat, il ne sera plus indépendant à l’égard des consignes reçues du syndicat, et les justiciables seront menacés… si notre système judiciaire ne prévoyait un certain nombre de garanties contre ces dangers. Il est notamment possible à l’une des parties à un procès qui douterait de l’impartialité de son juge d’en demander la récusation, et donc d’être jugé par un autre magistrat.
En dépit de ces garanties, l’émotion que fait naître le « mur des cons » est bien compréhensible. Ce n’est plus la crainte d’une magistrature aux ordres de l’exécutif mais celle d’une magistrature politisée au-delà de l’admissible – car tout juge est humain, et a des opinions ; il n’est pas une machine à appliquer la loi – que suscite ce type de liste.
Il n’est pas question d’interdire aux magistrats de se regrouper en syndicats, et ces syndicats peuvent bien identifier ceux qui s’opposent à leurs idées. L’emploi de termes injurieux pour désigner leurs adversaires ne grandit pas ceux qui choisissent de décorer leur bureau de cette sorte de pilori moderne, mais il est presque anecdotique. En revanche, la présence dans les locaux d’un syndicat représentant une fraction significative des magistrats de ce qui s’apparente bien à une « liste noire » est un événement auquel on ne peut pas rester indifférent. Cet événement met suffisamment en cause l’image d’impartialité de la magistrature et la confiance que les citoyens doivent avoir en la justice pour justifier la saisine du Conseil supérieur de la magistrature, sans qu’il faille voir dans cette saisine une décision politique.
Et maintenant? Maintenant qu’ils n’ont pas voulu rendre un avis et qu’ils ne se reconaissent pas cette capacite ? Quel juge impartial pour juger de l’association de ses paires ?