Je crois qu’il y a un décalage entre la réalité économique de l’entreprise et son traitement par le droit, qui mérite une clarification.
On dit souvent qu’il n’est pas juste qu’une entreprise fasse des bénéfices et procède à des licenciements économiques dans le même temps. C’est vrai que ce type de licenciement suppose normalement une suppression d’emploi reposant sur un motif économique, notamment lié à des difficultés économiques rencontrées par l’employeur ou à une nécessité de restructurer l’activité pour faire face aux conditions du marché.
Seulement, beaucoup d’entreprises sont en réalité des groupes de sociétés. Économiquement, le groupe est bien une entreprise. Mais juridiquement, il n’est pas l’employeur: chaque salarié a pour employeur telle ou telle société du groupe et n’a en principe de relations juridiques qu’avec la société qui l’emploie (la société qui a signé son contrat de travail, en clair). Les difficultés économiques justifiant les licenciements s’apprécient par ailleurs le plus souvent société par société que de manière plus globale.
Le droit appréhende chaque société comme une « personne morale » distincte, c’est-à-dire comme un sujet distinct. Il est donc possible qu’une société du groupe, la société mère par exemple, distribue des dividendes à ses actionnaires, tandis qu’une ou plusieurs filiales sont mises en liquidation judiciaire et licencient tous leurs salariés. Cela peut surprendre, mais il n’y a pas de solidarité obligatoire entre les sociétés d’un même groupe.
La situation peut être très frustrante pour les salariés, qui n’ont comme on l’a dit de relations qu’avec la société, la filiale par exemple, qui les emploie. Une filiale d’un grand groupe peut ainsi être très profitable et faire remonter des dividendes aux actionnaires du groupe pendant des années, jusqu’au jour où ceux-ci décideront de « fermer » la filiale française, par exemple pour délocaliser son activité et réduire le coût de la main-d’œuvre. En l’état de notre droit, les salariés n’ont pas véritablement de moyen d’action efficace contre ce type de comportement, qui correspond à ce que l’on peut appeler un « licenciement boursier ».
On peut dire que le droit, qui apprécie en règle générale les sociétés du groupe comme autant de sujets distincts, est en décalage avec la réalité sociologique et économique, qui voit le groupe vivre et être perçu comme une entité unique.
(A suivre)
Par Bruno DONDERO